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le Rosé des RICEYS |
Dans l'Aube, non loin de Bar-sur-Seine, la commune des Riceys
rassemble trois bourgs: Ricey-Bas, fondé à l'époque gallo-romaine,
Ricey-Haute-Rive et Ricey-Haut, plus récents. Ils se présentent comme un
curieux labyrinthe de pierres blanches qui s'étire le long de la Laignes,
petite rivière bucolique à souhait. Un vrai village sur carte postale avec ses
trois églises Renaissance, ses neufs chapelles, son vieux pont enchanteur, ses
lavoirs qui bordent le cours capricieux de la Laignes, ses belles demeures
vigneronnes construites en moellons de calcaire dur. Certaines sont ornées
d'une remarquable ferronnerie Belle Epoque et moderne style, œuvres artistiques
d'un atelier qui, avec les vins des coteaux, a contribué à établir la réputation
des Riceys.
Le Château fut un temps la propriété de Nicolas Rollin, le
promoteur des hospices de Beaune. Son jardin, dessiné par le Nôtre, se prolonge
par une altière et interminable allée de platanes, plantés sous Henri IV. Sans
oublier les célèbres cadoles, ou loges, disséminées sur les hauteurs. Ces
petites constructions primitives ont été érigées par les lointains ancêtres de
nos vignerons des Riceys, avec des pierres sèches trouvées sur place. Elles
font inévitablement songer aux énigmatiques bories de haute Provence. Les
Riceys possèdent un charme envoûtant, un air déjà méridional. Elle demeure la
seule commune viticole à voir cohabiter sur un même terroir les trois
appellations Champenoises: Champagne, Coteaux-Champenois et rosé des Riceys.
Fier et fameux
Des vignes complantées d'un pinot noir très prisé des grandes
maisons, c'est le plus vaste terroir de la Champagne viticole (870 hectares).
Sa grande fierté est le fameux rosé des Riceys. Par sa rareté et sa
spécificité, il est considéré comme l'un des meilleurs vins rosés de France. Et
donc du monde, par extension ! Le vin des Riceys plonge ses racines dans un
passé lointain. Dès le VIIIe siècle, des documents font état de l'existence de
vignes sur le territoire des Riceys: son implantation est l'œuvre des seigneurs
de Tonnerre, vassaux du duc de Bourgogne. Au XIIe siècle, les cisterciens de
l'abbaye de Molesme, féaux du comte de Champagne, créent aux Riceys le domaine
Saint-Louis. Cette dualité de naissance imprégnera les esprits jusqu'à la Révolution,
les Riceys restant tiraillés entre le comté de Champagne et le Duché de
Bourgogne.
Sans escamoter son cousinage bourguignon, le vin des Riceys a
toujours revendiqué son identité Champenoise, par le cœur, la tradition et sa
nature. Dès le début du XVIIIe siècle, l'appellation figure bien dans les
statistiques des expéditions établies par les bureaux des Traités de la
province de Champagne.
Il fut introduit à Versailles par des terrassiers ricetons-les
canats-,d'une prodigieuse ingéniosité dans la construction d'ouvrages
hydrauliques, et Louis XIV en serait devenu un fervent amateur. Et, en 1822,
Jullien, dans sa "Topographie de tous les vignobles connus", classe
les vins des Riceys parmi les meilleurs de France.
Un terroir divers et étendu
La réglementation de l'A.O.C rosé des Riceys apparaît comme l'une
des plus sévères qui soit. La production ne peut s'effectuer que sur une
superficie restreinte du territoire de la commune: seuls 350 hectares,
délimités au cadastre viticole lorsque l'appellation fut attribuée en 1947,
sont agréés en rosé des Riceys, le pinot noir étant l'unique cépage autorisé.
Mais, en réalité, la sélection parcellaire est si draconienne que les
lieux-dits les plus idoines, ne représentent que 35 à 40 hectares.
Par la diversité et l'étendue de son relief, la configuration
circulaire du vignoble, ses quelques deux cents kilomètres de chemins, le
paysage des Riceys est unique. IL offre un visage méconnu de la Champagne
viticole qui tranche avec les ambiances de craie. Le vignoble est formé de
multiples petits coteaux situés dans des vallons étroits et fermés, très
accidentés (on peut difficilement se tenir debout dans certaines parcelles,
dont la pente atteint les 40-50% de déclivité).
L'été il n'est pas rare d'enregistrer dans ces cuvettes des
températures étouffantes, dépassant les 50°!
Ce qui explique le goût prononcé de cerises cuites ou confites
que prend le rosé des Riceys au vieillissement.
Le sol est jonché de petits cailloux qui éclatent, puis se
désagrègent sous l'effet du gel. Ils emmagasinent une telle chaleur l'été que,
dilatés et chauffés à blanc, ils finissent par dévaler les pentes, trouant le
silence cosmique des coteaux. Les versants exposés sud-sud-est, dans lesquels
le pinot noir trouve son terrain de prédilection, sont appelés localement
l'endroit, tandis que les versants opposés, l'envers, accueillent des veines
d'argile bleutée qui retiennent par endroits, des mares ou des fonds
marécageux. Ils sont couronnés d'une végétation assez pauvre, composée de
petits conifères. A la lisière de ces forêts se sont amassés des curieux tas de
cailloux, nommés mergers, qui forment une digue inégale.
Ce manteau des forêts couvrant les plateaux et les nombreux îlots
boisés qui parsèment le territoire apportent une protection appréciable contre
les masses d'air froid. Le terroir des Riceys est ainsi favorisé par un
véritable microclimat.
A l'identique d'un grand vin rouge
A l'identique d'un grand vin rouge
Le rosé des Riceys est généralement issu de vieilles vignes et
demande une maturité optimale du raisin. C'est pourquoi la vendange doit être
mûre et saine: elle ne peut s'effectuer que par temps ensoleillé. Elle fera
l'objet d'un tri systématique à la vigne ou au cellier, ce qui laisse sur le
carreau une fraction non négligeable de la récolte. Au prix du kilo de raisin,
on comprend les réticences des vignerons à s'engager dans une telle aventure.
Ils préfèrent l'élaboration (moins contraignante) du Champagne.
La vinification du rosé des Riceys exige une rigueur absolue:
"on raisonne à l'identique d'un grand vin rouge", souligne Alain
Pailley, chef de cave à la maison Alexandre Bonnet. Les grappes entières (non
égrappées) sont déposées dans des cuves de petite dimension. Une partie
seulement sera foulée au fond de la cuve d'où partira la fermentation. La
macération peut ainsi durer jusqu'à six jours, un record pour un vin rosé !
Elle sera surveillée par intervalles réguliers les premiers jours, puis heure
par heure dans la phase ultime de macération ; cela afin de saisir le moment
précis, mais toujours imprévisible, ou apparaît le goût spécifique du vin rosé
des Riceys qui, sinon, disparaît dans l'heure suivante. Une macération trop
courte, et l'échec est patent; trop longue, elle aboutit à une extraction
excessive de tanins et d'arômes indésirables de type giboyeux. La saignée peut
être comparée à un accouchement qui, pour corser l'affaire, ne se déclenche que
la nuit-c'est souvent le cas avec le rosé des Riceys; Pas de rosé des Riceys
sans engagement physique important du vigneron ! Ce fameux goût se transmet de
génération en génération comme un patrimoine sacré. Les vignerons des Riceys le
détectent grâce à une mémoire sensorielle très exercée. Il est vrai qui la
plupart d'entre eux baignent depuis leur enfance dans ces parfums subtils qui
emplissent la cuverie au cours des macérations
La saignée effectuée, le marc est ensuite pressé, le jus de
saignée assemblé au jus de presse, et la fermentation s'achève dans une seconde
cuve. Après soutirages, selon la philosophie des élaborateurs, l'élevage du
jeune vin rosé se poursuit en cuves ou en fûts de chêne (le bois neuf est
exclu), rachetés dans les bons crus bourguignons. Il lui faudra environ une
année dans ces pièces pour s'épanouir, la richesse des raisins autorisant un
heureux et harmonieux compagnonnage avec le bois.
Afin de parfaire sa maturation, notre rosé des Riceys ne sera
vendu qu'après une, voire deux années, de repos supplémentaire en bouteilles.
Il est facile, dans ces conditions, de comprendre que la production de rosé des
Riceys soit nécessairement faible et irrégulière. Les volumes ne dépassent pas
en moyenne 50 000 bouteilles par millésime (pour une douzaine de producteurs).
Des nuances multiples et lumineuses
Il existe autant de nuances dans sa couleur que de millésimes. La
robe, lumineuse et intense, va du saumon clair au rouge vermeil. Elle rappelle
par certains aspects, les poulsards du jura. C'est un vin de race extrêmement
fin et délicat. La bouche est parfumée, tendre, fine et longue. Il n'affirmera
sa personnalité et la noblesse de son terroir qu'après plusieurs années de
garde à l'inverse de l'immense majorité des vins rosés qui s'avèrent déjà usés
et oxydés dès la troisième année de conservation.
Le fruité est plutôt discret dans sa prime jeunesse; il évoque le
panier de petits fruits rouges sur fond floral, épicé, ou réglissé. Avec de la
patience, le pinot noir des Riceys révélera des saveurs éclatantes de griotte,
de violette et de crème de cassis, et même de coing et de miel comme dans
certains sauternes.
Au fond, le rosé des Riceys demeure un domaine de passionnés, une
œuvre purement artisanale, pouvant atteindre le sublime. Preuve qu'en
Champagne, il y a autant de génie dans les grands vins de terroirs que dans les
assemblages. Cuvées de prestige comprises.
L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE, A CONSOMMER
AVEC MODERATION